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collect'OR #23 | La seconde vie du parchemin

collect'OR #23 | La seconde vie du parchemin

On trouve parfois dans les collections des bibliothèques des livres surprenants non par leur contenu mais par leur matérialité.

On trouve parfois dans les collections des bibliothèques des livres surprenants non par leur contenu mais par leur matérialité. Les quelques ouvrages présentés ci-dessous en sont un bel exemple : leur reliure réutilise du parchemin provenant de manuscrits anciens !

Le parchemin dans le livre

Jusqu’à la fin du Moyen Âge, le support privilégié pour la production de livres est le parchemin, une peau animale (le plus souvent de mouton mais qui peut être de chèvre, de veau, etc.) préparée avec soin de manière à recevoir l’écriture sur ses deux faces. À partir de la fin du 15e siècle, au moment où l’imprimerie se développe, la production de livres s’accélère et le papier remplace rapidement le parchemin qui est plus long à fabriquer. Le papier est déjà présent depuis le 13e siècle et de plus en plus utilisé, tant dans la sphère publique que privée, mais il est plus fragile et considéré comme moins luxueux pour les livres.

Dès lors, si le parchemin reste prisé pour la fabrication de livres de luxe – notamment les vélins, issus de la peau de très jeunes veaux, qui sont très fins et presque transparents –, son utilisation décline fortement en tant que support d’écriture. Il demeure cependant utilisé pour la reliure des livres, ainsi que par d’autres corps de métiers. Huilé, il pouvait par exemple servir de vitre !

Autour du 16e siècle, on note également une pratique particulière, celle de la réutilisation de manuscrits anciens dans la fabrication des livres. C’est ce qu’on appelle le parchemin de réemploi.

 

Pourquoi réutiliser un parchemin ?

Le parchemin est un matériau qui a toujours été onéreux et donc précieux. Au Moyen Âge, on grattait les parchemins pour en effacer l’encre afin de les réutiliser comme support d’écriture (les palimpsestes).

À l’époque moderne, des manuscrits sur parchemin jugés inutilisables – pour leur contenu périmé ou pour d’autres raisons qui nous sont parfois inconnues – trouvent une seconde vie en tant que matériau de reliure car ils demeurent solides et trop chers pour être simplement jetés. On les retrouve donc à différents endroits du livre, souvent de manière visible en couvrure (reliure complète ou recouvrement des plats), mais également de manière invisible en morceaux de différentes tailles, par exemple sur le dos de l’ouvrage.

Aujourd’hui, historiens et spécialistes du livre et de la conservation s’intéressent de près à ces pratiques de réemplois car elles livrent de précieuses informations. Ces ouvrages illustrent la transition entre la production manuscrite et l’imprimé, tout en reflétant l’évolution de la valeur attribuée à certains textes — qu’ils soient religieux ou juridiques — devenus obsolètes. Aidées par les nouvelles technologies, les recherches ont également permis de (re)découvrir des textes anciens, parfois oubliés, dans les parties cachées des reliures.

Cette pratique de réutilisation ne se cantonne par ailleurs pas au parchemin, ni au manuscrit. Dans des reliures plus récentes, souvent lorsqu’elles sont en mauvais état, on découvre également du texte imprimé parmi les matériaux utilisés, dans l’encollage du dos par exemple. Combien de reliures anciennes cachent encore ce genre de surprises ?

Quelques parchemins de réemploi dans les collections du Studium

 

Theodorus, Jacobus, New Kreuterbuch, Franckfurt am Mayn, 1588. A consulter en ligne

 

La reliure, très abîmée, est pour partie en cuir (le dos) et pour partie en parchemin. Celui qui a été réutilisé est vraisemblablement un fragment d’un antiphonaire, livre rassemblant des partitions pour la liturgie catholique.

 

| Plat supérieur du document

 

Rosenberg, Johann Karl, Rhodologia, seu, Philosophico-medica generosae rosae description, Argentinae typis Marci ab Heyden, 1628. A consulter en ligne

 

Cette reliure, également en demi-cuir, a utilisé un manuscrit médiéval pour recouvrir les plats. Rédigé sur deux colonne avec un grand nombre d’abréviations, ce parchemin est assez fin car on distingue en transparence le texte tracé de l’autre côté. Le manuscrit d’origine n’a pas été identifié, il peut s’agit d’un manuscrit scientifique d’après certains mots déchiffrés (« spica » qui signifie épi ; « cassia » qui renvoie à un nom de plante, etc.).

 

| Plat inférieur du document

 

Helmrich, Andreas, Kunstbüchlein, Basel, 1658. A consulter sur place

 

Le parchemin réutilisé provient d’un manuscrit religieux que nous n’avons pas pu identifier plus précisément. On y trouve cependant une mention à sainte Pétronille. On distingue encore les traces de la réglure, c'est-à-dire les lignes qui déterminent la surface écrite et guident le scribe, permettant ainsi d'obtenir un manuscrit visuellement très homogène. Quelques initiales sont rehaussées de couleur.

| Plat supérieur du document

 

 

Kunrath, Heinrich, Von hylealischen, das ist pri-materialischen, catholischen oder allgemeinen, natürlichen Chaos der naturgemessen Alchymiae und Alchymisten ... Magdeburg, 1615. A consulter sur place

 

Le parchemin réutilisé provient également d’un manuscrit religieux : il s’agit d’une homélie de Bède le Vénérable, moine anglo-saxon du 7e-8e siècle et docteur de l’Eglise. Ici encore, les traces de la réglure sont visibles et les initiales sont légèrement mises en couleur.

 

| Plat inférieur du document

 

NEANDER, Micheal, Elementa sphæricæ doctrinæ, Basileae, ex officina Joannis Oporini, 1561. A consulter en ligne

 

Le manuscrit utilisé pour couvrir cet ouvrage est un texte liturgique : il s’agit du canon de la prière eucharistique romaine. La couleur rouge est utilisée pour la mise en valeur des initiales et le tracé de croix, mais également pour indiquer la gestuelle du prêtre à des moments précis du rite.

 

| Plat supérieur du document

 

 

CAMERARIUS, Joachim, Quorum titulos versa pagella indicabit. Norimbergae apud Jo. Petreium, 1532. A consulter sur place

 

Sur cette reliure en demi-cuir, un manuscrit médiéval recouvre les plats tandis qu’une peau de truie estampée à froid a été utilisée sur le dos. Les liens en cuir destinés à fermer le livre sont encore présents. Le manuscrit d’origine, en latin, n’a pas été identifié.

 

| Plat inférieur du document

 

CROSS, Oswald, Basilica Chymica oder Alchymistisch Königlich Kleynod, 1623. A consulter sur place

 

Sur cette reliure, le parchemin qui a été réutilisé est vraisemblablement un fragment d’un antiphonaire, livre rassemblant des partitions pour la liturgie catholique en style neumatique.

 

Plat inférieur du document

 

 

NEANDER, Micheal, Elementa sphæricæ doctrinæ, Basileae, ex officina Joannis Oporini, 1561. A consulter en ligne

 

Le manuscrit utilisé pour couvrir cet ouvrage est un texte liturgique : il s’agit du canon de la prière eucharistique romaine. La couleur rouge est utilisée pour la mise en valeur des initiales et le tracé de croix, mais également pour indiquer la gestuelle du prêtre à des moments précis du rite.

 

| Plat supérieur du document

 

 

 

KUNCKEL, Johannes, Chymischer Probier-Stein. Berlin : In Verlegung Rupert Völckers, 1686. A consulter sur place

 

| Plat supérieur du document

 

 

Das Gross Planeten Buch sampt der Geomanci, Physiognomi und Chiromancj darinnen was dem Menschen für Glück/Unglück/Reichthumb/Armut... begegnen soll... Strassburg, 1628. A consulter sur place

 

| Plat supérieur du document

 

 

Pour aller plus loin

 

L’histoire de la reliure

DEVAUCHELLE, Roger, La reliure : recherches historiques, techniques et biographiques sur la reliure française, Paris : Éditions Filigranes, 1995
📚 à lire à la bibliothèque du Studium

 

DEVAUX, Yves, Dix siècles de reliure, Paris : Éd. Pygmalion, 1977
📚 à lire à la bibliothèque de la Manufacture

 

DEVAUX, Yves, Histoire du livre, de la reliure et du métier de relieur au fil des siècles, Paris : Technorama, 1983
📚 à lire à la bibliothèque de la Manufacture

 

EYMARD Cécile, Cours d'histoire du livre : reliure, gravure et techniques d'impression : documents pédagogiques, Toulouse : CAFB, 1990
📚 à lire à la bibliothèque du Studium

 

GARRIGUE, Marie et FATON, Louis éd., La reliure : patrimoine artistique : Lille 2004 [catalogue officiel de l'exposition], Dijon : Editions Faton, 2004
📚 à lire à la bibliothèque de la Manufacture

 

MELOT, Michel et ZALI, Anne, L'art du livre, Paris : Citadelles & Mazenod, 2023
📚 à lire à la bibliothèque de la Manufacture

 

PEYRÉ, Yves, Histoire de la reliure de création : la collection de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, Dijon : éditions Faton, 2015
📚 à lire à la bibliothèque de la Manufacture

 

TOULET, Jean, Introduction à l'histoire de la reliure française : XVe-XVIIIe siècles, Paris : Bibliothèque nationale de France, 1973
📚 à lire à la Bnu

 

L’histoire du parchemin

Lire et écrire : une révolution au Moyen Âge, L'Histoire, n°463, septembre 2019
📚 à lire dans 3 bibliothèques

 

CHAHINE, Claire, Cuir et parchemin : ou la métamorphose de la peau, Paris : CNRS éditions, 2013
📚 à lire à la Bnu

 

DEROCHE, François, « Le parchemin, support privilégié des manuscrits médiévaux », BnF | Les Essentiels [site web]
💻 en ligne

 

FOURNIER, Sylvie, Brève histoire du parchemin et de l'enluminure : guide aide-mémoire, Gavaudun Tiralet : Fragile, 1995
📚 à lire à la Bnu

 

RONCONI, Filippo, Aux racines du livre : métamorphoses d'un objet de l'Antiquité au Moyen Âge, Paris : Éditions EHESS, 2021
📚 à lire en bibliothèques d’histoire

 

ZERDOUN, M. et BOURLET C., Matériaux du livre médiéval, Turnhout : Brepols Publishers, 2010
💻 en ligne

 

Les réemplois de parchemin en reliure

« La chasse aux trésors cachés dans les reliures de livres », Dicopathe [site web]
💻 en ligne

 

BURGET, Rémy, « Réemploi d’un fragment de manuscrit musical dans la reliure d’une édition juridique de 1546 », Conserver, enseigner, chercher : Réflexions autour du patrimoine scientifique d'Aix-Marseille Université [blog], 19 décembre 2014
💻 en ligne

 

HEINTZELMAN, Matthew Z., « Hiding in the Binding – Fragments in Rare Book Collections at HMML », Hill Museum & Manuscript Library [site web], 8 décembre 2022
💻 en ligne

 

HESTER, Jessica Leigh, « The surprising Practice of Binding Old Books With Scraps of Even Older Books », Atlas Obscura [site web], 11 juin 2018
💻 en ligne

 

OUVRARD, Hugues, « La reliure par l’image : la reliure en parchemin de réemploi », bibliophilie.com [blog], 21 juin 2018
💻 en ligne

 

REY, Coraline, « Défait de reliure : fragment d’un acte de vente du XVe siècle », Armaria [blog], 13 avril 2023
💻 en ligne

 

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Ce numéro a été réalisé par Inès Laref et Marie Boissière-Vasseur (Pôle Collections) | Une exposition physique de quelques-uns de ces ouvrages est présentée à la bibliothèque du Studium du 3 au 13 juin 2025.